Police ! Mobilisation humaine et qualité de vie au travail
Dix choses à apprendre de la police britannique
En 2014, la police britannique m’appelle pour me demander conseil.
…😳…
Déconcerté, je peine alors à comprendre pourquoi ils me contactent: "Vous devez faire erreur !". Je suis alors cadre dans une entreprise pharmaceutique mondiale, basée en France, et mon travail n’a aucun rapport avec celui de la police. C'est du moins ce que je pensais, avant que la conversation ne s’engage.
Leçon 1 : La curiosité est une vraie qualité. Questionnez des personnes impliquées dans le changement dans un large éventail de domaines, même (surtout !) ceux qui a priori n’ont rien à voir avec le vôtre. Sans vous limiter aux PDG stars ou à la Silicon Valley...
Un défi conséquent, rendu compliqué par la culture de travail
Environ 200 000 personnes travaillent pour les 43 forces de police en Angleterre et au Pays de Galles. En 2012, un groupe de travail national sur la qualité de vie au travail a été formé.
"La police est là le pire jour de votre vie" : comme les autres intervenants d’urgence, les hommes et femmes de la police sont souvent exposés à des événements traumatisants qui ont des conséquences désastreuses sur leur santé mentale. Dans la police française, les décès par suicide sont plus nombreux que les décès dans l'exercice des fonctions policières ; un bilan similaire est observé ailleurs, avec un taux d'automutilation beaucoup plus élevé que dans la population générale. Les syndromes post-traumatiques et la dépression sont des risques permanents.
Cependant, la culture même de l'organisation empêche les gens d'en parler : pour traiter le problème, il faut "démanteler le code du silence" : "il y a un stigmate autour de l’appel à l'aide". De nombreux agents considèrent que demander de l'aide est un signe de faiblesse ou que s'ils reconnaissent avoir un problème de santé mentale, c'est que quelque chose ne va pas chez eux". La crainte d'un échec professionnel et de la honte est très réelle. Il faudrait que la culture change.
Leçon 2 : Considérez dès le départ comment votre culture organisationnelle peut faire obstacle à votre ambition collective. Ensuite, élaborez une stratégie à long terme, car un changement de culture n’est jamais rapide.
Oscar Kilo : l'histoire d'une communauté
Compte tenu de l'ampleur du défi, il a été décidé d'éviter la "recherche de solutions". C'est un choix clé, et un excellent choix à mon avis. Une grande partie des reproches mutuels que se font les dirigeants et les salariés, en matière de gaspillage des ressources et de projets ratés, est liée à la maladie de la solutionnite ("solutioneering") : quelques personnes décident pour tout le monde ce qui sera bon pour eux (« la solution »), puis tentent de le faire adopter.
Leçon 3 : Lorsque vous êtes confronté à un défi important, ou à un défi lié au comportement humain, évitez à tout prix de chercher des « solutions ». Recherchez plutôt la co-création, l'engagement collectif.
A partir des recherches du Pr Ian Hesketh du College of Policing, et inspirés par le Chief Constable Andy Rhodes, mes interlocuteurs de la Police britannique ont parcouru le Royaume-Uni et au-delà pour comprendre ce qui fonctionnait ailleurs. C'est de cette façon qu'ils sont tombés sur mon travail de l'époque, décrit dans mon blog et dans cette conférence TEDx : l’engagement d’une communauté pour lutter contre une maladie transmise par les moustiques.
Plusieurs éléments ont attiré leur attention : un mode de fonctionnement entre pairs, mêlant engagement en personne et engagement multicanal en ligne, propulsée par l'internet et les médias sociaux, mettant en relation les gens autour d’une cause commune, quels que soient leurs rôles ou leurs connaissances, en vue de soutenir un activisme local, pour un impact réel.
Leçon 4 : Bien que chaque communauté soit différente, certains principes d'engagement fonctionnent dans tous les secteurs. Ils pourraient vous convenir également.
Nous sommes restés en contact pendant les années qu'il leur a fallu pour développer le projet. Certaines de ses caractéristiques ont dû nécessiter de longues négociations : utiliser l'internet ouvert plutôt que des systèmes cryptés propres à la police par exemple. C'était un point critique : pour être utile à beaucoup, la communauté devait être perçue comme ouverte, accueillante, facile d'accès, différente des systèmes professionnels habituels.
Leçon 5 : Soyez patient. Soyez persévérant. Soyez ouvert aux compromis, mais pas sur l'essentiel.
La communauté en action
En 2017, la communauté Oscar Kilo est née. Son nom reprend les lettre O et K de l'alphabet phonétique de l'OTAN : c’est OK de ne pas être OK ! Elle est devenue la marque du Service National pour le Bien-être de la Police, créé peu après, et a vu son champ d'action s'élargir au-delà de la police pour englober plus largement le personnel d'urgence. En plus de sa plateforme numérique, Oscar Kilo est présente et active sur LinkedIn et sur Twitter.
L'objectif de la communauté Oscar Kilo est de rendre le dialogue possible, de créer des liens et de susciter un véritable changement de culture autour de la qualité de vie au travail, de la santé mentale des employés. Soutenue par plusieurs collaborateurs à plein temps talentueux et passionnés, elle propose des ressources, des événements, des outils d'auto-évaluation (un cadre de référence Blue Light sur le bien-être, notamment). Il invite les gens à se former au soutien mutuel, à développer la prise de conscience sur différents aspects de la santé mentale et de la qualité de vie au travail, à partager leurs histoires...
Leçon 6 : Il faut du talent, du temps et des ressources pour faire prospérer une communauté. Un contenu de qualité aide, mais ne suffit pas à déclencher et à maintenir l'engagement
Oscar Kilo se rend auprès du personnel de police dans la rue avec les camionnettes du bien-être, offrant du café et la possibilité de bavarder et de faire des bilans de santé physique et mentale. Ces véhicules ne font pas seulement la promotion des services centraux, mais peuvent être utilisés par n'importe laquelle des 43 forces de police locales pour promouvoir leurs propres services de qualité de vie au travail auprès des policiers en première ligne.
Leçon 7 : Ne jamais, jamais oublier les travailleurs en première ligne. Ils ne sont pas derrière un bureau ? Ils n'ont pas accès à un ordinateur ? Pas de problème. Soyez créatifs. Allez là où ils sont. Favorisez les connexions locales.
Pour quel impact ?
L'impact est mesuré en termes de progrès organisationnels (amélioration des performances, réduction des coûts liés aux absences et aux maladies, gains de réputation) et de changements positifs pour les individus (amélioration du bien-être et de la satisfaction, amélioration de la résilience personnelle et des compétences d'auto-assistance, réduction du présentéisme comme de l’absentéisme, amélioration du moral et de l'engagement, amélioration des performances).
Leçon 8 : Établir des mesures de performance claires. Cela peut être assez difficile, car les mesures peuvent avoir des effets négatifs non désirés sur le changement de culture. Pour plus de détails et d'idées : Comment mesurer le changement de culture sans le tuer.
Au-delà de ce qui est mesuré ici, je suis persuadée que cette communauté peut avoir un impact encore plus important. Les sujets centrés sur les personnes, comme le bien-être (ou la qualité, dans laquelle j'ai été impliqué pendant plusieurs années) ont un potentiel énorme d’amélioration de la culture de travail des organisations, dans l'intérêt des employés et des clients qu'ils servent. Les protestations qui ont suivi la mort de George Floyd aux États-Unis ou contre la violence policière en France ne font que confirmer que nous avons grandement besoin de bonnes forces de police. Les personnes qui se sentent respectées en tant qu'êtres humains, dans des organisations qui favorisent les discussions sur la vulnérabilité et encouragent le soutien mutuel, sont en meilleure capacité de faire leur travail de manière responsable et respectueuse.
Leçon 9 : Que serait-il possible dans votre organisation si l’humanité du travail, ou la qualité, ou un autre sujet centré sur les personnes devenait le point de ralliement pour tous ? Si cela devenait un véritable engagement collectif, effectivement mis en œuvre, en tête des priorités, mobilisant de l’atelier jusqu'aux cadres supérieurs ? Pensez-y...
Le maintien de l'ordre pendant une pandémie et le rôle de la technologie
Ces derniers mois, j’ai soutenu Oscar Kilo dans la préparation d'un événement international sur le la qualité de vie au travail dans la police. Le travail des policiers a été perturbé par la pandémie COVID-19. Nous voulions savoir à quel point les gens avaient été impactés, si la technologie avait été une aide ou un fardeau, et quelles nouvelles pratiques de bien-être avaient pu apparaître. Nous avons donc lancé une enquête à laquelle 600 personnes ont répondu en seulement deux semaines. Fait intéressant, aucune différence n’a été remarquée dans les réponses en fonction du rang hiérarchique des personnes. L'événement a été construit sur la base des réponses reçues.
50 % des personnes interrogées déclarent que la pandémie a eu un impact positif sur leur travail, 35 % un impact négatif et 15 % n'ont constaté aucun changement.
78 % des répondants ont eu une expérience positive de la technologie : elle les a aidés dans leur travail à surmonter les contraintes de la pandémie (37 %), pour la productivité collective (16 %), pour la connexion avec les autres (13 %) et a créé des opportunités d'innovation (12 %). Pour 12 % des répondants, la technologie a été ressentie comme un fardeau, et 9 % ne se sont pas particulièrement appuyés sur la technologie. Vous trouverez plus de détails ainsi que des citations ici.
En tant que personne extérieure à la police, je trouve particulièrement intéressantes les mises en garde des répondants concernant l'utilisation généralisée de la technologie au travail. Ils soulignent que la technologie peut améliorer le bien-être du personnel si et seulement si...
...La technologie s'accompagne d'un support et d'un accompagnement pertinents, si elle est fiable, si elle est compatible avec les autres systèmes utilisés, si elle ne déclenche pas de bureaucratie supplémentaire (encore plus de rapports, plus de statistiques...) mais au contraire un travail de meilleure qualité et qui fait du sens
...Les utilisateurs finaux sont consultés et reçoivent des technologies en fonction de leurs besoins, et non de leur rang ;
...La technologie fait partie d'un effort plus large visant à améliorer le travail collectif, qui comprend de nouvelles pratiques de travail : travail plus asynchrone, appels moins nombreux/plus courts, protection du temps personnel, poursuite des contacts en face à face chaque fois que cela est possible, gestion de la surcharge de travail de la technologie/des écrans
...L’organisation abandonne la culture du blâme et évolue vers plus d'expérimentation, plus de dialogue à travers les niveaux hiérarchiques, une culture où les dirigeants dirigent vraiment, c'est-à-dire qu'ils font confiance, soutiennent et habilitent leurs équipes.
Leçon 10 : Les policiers sont en fait comme vous et moi. Les aspirations des gens au travail transcendent les disciplines. Surpris.e ?
Un événement international en ligne que vous pouvez ré-écouter ici
Fin août 2020, Oscar Kilo et Tech UK ont invité des représentants de l'Australie (Grant Edwards), du Canada (Dr. Katy Kamkar Ph.D. C.Psych) et des États-Unis (Jeff Thompson, Ph.D.), ainsi que Garry Botterill de la police du Sussex et de Service Dogs UK et Hector McKoy de la police de Londres, à discuter des résultats de l'enquête et à partager leur expérience. En seulement 90 minutes, nous avons entendu une diversité de points de vue et avons eu deux débats animés par Jenna Flanagan et Georgie Henley autour des questions suivantes :
- Comment la technologie peut-elle contribuer à la qualité de vie au travail de la police ? Ce que nous savons, les facteurs favorables et les questions en suspens
- Comment rester en bonne santé en période de pandémie ? Le bien-être de la police en action pour un impact réel
Si vous aimez les histoires émouvantes, regardez également cette vidéo remarquable au sujet d’un des intervenants, Grant Edwards : L'Homme Fort. "Le commandant de la police fédérale australienne, Grant Edwards, était autrefois l'homme le plus fort d'Australie. Il était capable de tirer des locomotives, des avions et des semi-remorques massifs grâce à sa simple force physique. Mais celle-ci n’était d’aucune aide contre les blessures psychologiques."
Quelques leçons tirées d’une mission particulière en Arabie Saoudite