Leadership du changement : Le vrai défi des RH
« Vous savez quoi ? Je pense que vous êtes trop en avance pour notre entreprise. Peut-être que vous seriez mieux dans une autre organisation. »
Il dit ça, et je chavire intérieurement.
Il est notre responsable des ressources humaines depuis plusieurs années déjà. C'est la première fois que nous nous voyons en tête-à-tête pour aborder mes multiples réflexions et initiatives sur la transformation que permet la combinaison de l'engagement humain et du numérique. Il s'est montré désespérément indifférent jusqu'à ce jour, malgré le nombre croissant de personnes impliquées dans les initiatives de changement interne que j'ai lancées, et la reconnaissance croissante qu'elles suscitent à l'extérieur. J'espérais que son intérêt et son invitation à discuter susciteraient une démarche de collaboration pour étendre le changement au sein de l'organisation. Peut-être déciderions-nous de parler avec son équipe, d'aller convaincre des responsables fonctionnels, de faire preuve de créativité ensemble pour amplifier le changement... mais non, il me suggère simplement de partir pour travailler dans une organisation plus innovante. Autant pour la rétention des talents et le leadership du changement !
C’était il y a quelques années déjà. Aujourd’hui, alors que la crise sanitaire du Coronavirus frappe durement le monde du travail, et oblige les entreprises à faire évoluer considérablement leurs modes d’activité, je ne peux m'empêcher de m'interroger : à quel point cette organisation serait-elle mieux préparée aujourd'hui, si elle avait tiré parti du capital humain d'innovation dont elle disposait, au lieu de l'étouffer ? Combien d'opportunités supplémentaires gaspille-t-elle encore aujourd'hui ?
“Oublie-les !”
Cet épisode, et bien d'autres pendant lesquels les RH ont fait la sourde oreille ou ont paru effrayées par des initiatives de changement, m'ont fait réfléchir sérieusement aux sources du problème. Parler de RH à la plupart de mes connaissances consultant en leadership du changement, c'est générer presque toujours la même réaction : les yeux au ciel + "Oublie-les !". Mais je ne veux pas oublier les RH. Elles sont, ou peuvent être, des acteurs majeurs du changement.
Parmi mes 30 ans d'expérience professionnelle dans divers environnements d'entreprise, j'ai été moi-même Responsable RH quelques années. Une de mes sœurs chéries est Directrice RH. J'ai de très bons souvenirs de dirigeant.e.s RH fantastiques qui ont été des modèles, de formidables partenaires professionnels, des mentors ou même des amis. Malheureusement, j'ai également rencontré d'innombrables personnes médiocres ou même toxiques dans le domaine des RH (cet article pourrait vous être utile, Mesdames et Messieurs). Ils ne se rendent peut-être même pas compte de l'ampleur des dommages qu'ils causent aux personnes et aux organisations. Mais les défaillances individuelles n'ont pas vraiment d'importance ici, je veux examiner le problème d'un point de vue systémique.
Certes, je comprends que le changement est difficile pour tous, y compris pour la fonction RH. Mais il y a un défi spécifique aux RH lié au changement et à la transformation, que j'ai pu percevoir de plus en plus clairement au cours de mes dix années de travail dans le domaine de l'engagement des personnes et de la conduite du changement collectif. Le problème, chères lectrices et chers lecteurs, est que malgré toutes les bonnes intentions des personnes, et bien qu'elle compte dans ses rangs certains des professionnels formidables que j'ai mentionnés précédemment - la fonction RH agit trop souvent comme un obstacle au changement de culture en renforçant des cultures obsolètes plutôt qu'en les faisant évoluer.
Parce qu'elle ne peut pas, et aussi parce qu'elle ne veut pas.
Elle s'accroche à certaines croyances qui ont été utiles dans le passé, façonnées par des décennies de pensée « ingénierie », mais qui sont devenues contre-productives et nuisibles au changement.
Voici, à mon avis, dix mesures que les RH pourraient prendre pour être vraiment à la pointe du changement et de l'efficacité collective.
Prêter attention aux (nouveaux types de) groupes plutôt qu'aux seuls individus.
Les collectifs, réseaux, communautés agiles créent aujourd'hui autant de valeur, sinon plus, que les individus "à haut potentiel" et les groupes structurés de manière traditionnelle (hiérarchies, équipes projet, lignes hiérarchiques). Comment les prendre en compte, et leur apporter une aide et un soutien en matière de ressources humaines ? Votre service est-il structuré en fonction de l'architecture de votre système d'information RH ? Si oui, comment identifier mieux ces nouveaux collectifs à forte valeur potentielle ? (Suggestions : impliquez-vous vous-même dans certaines communautés. Soyez actif.ve sur le réseau social de votre entreprise, et pas seulement dans le groupe de la communauté RH).
Capital humain : privilégier les opportunités aux problèmes.
Peut-être parce qu'ils doivent régulièrement traiter de situations problématiques avec des personnes, des responsables RH en viennent à penser que certaines personnes sont le problème, qu'elles ne sont pas dignes de confiance, pas gérables. C'est un peu comme certains policiers, dont la vision du monde peut être entachée par la violence à laquelle ils sont plus souvent confrontés que le citoyen moyen. Mais si l'on se concentre sur les "problèmes humains", on a tendance à passer à côté des questions systémiques dont ils sont issus. Il est donc impossible de les résoudre. C'est en gardant constamment à l'esprit la vue d'ensemble et le sens de la mission que l'on aborde avec plus d'ouverture les opportunités humaines - que les RH peuvent grandement faciliter, contribuant ainsi au changement positif.
Activement élargir ses connaissances au sujet d'autres façons de faire.
Le nombre de personnes des RH que j'ai rencontrées dans le cadre d'événements Enterprise 2.0, de conférences sur la gestion des communautés, de forums sur l'innovation numérique au fil des ans est proche de zéro (près de 1, je devrais dire pour être juste envers l'exceptionnelle M.-P. Fleury [lien vers son essai passionnant sur le futur de la fonction RH]). Il semble que la plupart d'entre elles ne participent qu'aux conférences sur les ressources humaines (certaines n'assistent à rien du tout). Quel dommage ! C'est quand on est vraiment curieux, équipé en savoir, que l'on est plus ouvert aux modes de fonctionnement nouveaux / différents qui se présentent à soi. On considère moins la nouveauté comme « impossible ici » et on est mieux placé pour aider ceux qui essaient.
Expérimenter davantage.
Vous pouvez pencher en politique pour le clan conservateur, mais essayez de ne pas l'être dans votre façon de travailler, car cela n'aide pas. Lorsque les RH utilisent activement les nouvelles technologies (pas seulement la tech RH, mais aussi les technologies de connexion, les applications basées sur le cloud, les systèmes d'idéation, les médias sociaux, etc.), cela fait une vraie différence. Lorsque les RH comprennent que la gestion de projet traditionnelle "penser, concevoir, déployer" peut être remplacée par des méthodes beaucoup plus efficaces, cela fait encore une vraie différence. « Attention, pas trop vite, notre profession est soumise à toutes sortes de contraintes : confidentialité, syndicats, risques juridiques, etc. » J'entends bien. Il en va de même pour un autre domaine ultra-réglementé, la Qualité, où j'ai contribué à un remarquable mouvement de changement de culture à travers plusieurs continents. Lorsque les RH n'ont pas peur de changer, elles sont mieux placées pour inspirer et promouvoir un changement à l'échelle de l'organisation.
Consacrer du temps aux membres des communautés et au personnel en 1ère ligne, pas seulement aux sommets des pyramides.
L'organisation traditionnelle est constituée d'une multitude de pyramides imbriquées, petites ou grandes, chacune étant dirigée par des cadres / cadres supérieurs, dont s’occupent les RH. Ce système d'abord hiérarchique maintient un système de centaines, de milliers de petits goulots d'étranglement. Je me souviens d'avoir vanté auprès de mon interlocuteur RH du moment ce que le mouvement Qualité permettait, pour la toute première fois dans cette entreprise, l'émergence de talents exceptionnels au sein des ateliers. Sa réponse a fusé : « Mais on n’est pas là pour détecter les talents en atelier ! ». Myopie regrettable. Mon propos n'est même pas celui de la justice sociale, il est celui de la performance. Le vieux système dédié quasi exclusivement aux sommets des pyramides nuit aux capacités organisationnelles d'innovation, d'apprentissage et d'adaptation - qui, comme on le sait, font toute la différence dans les systèmes complexes.
Développer le muscle du courage.
Il n'est pas facile de résister à ses clients internes, des managers qui ont souvent trop à perdre d'un changement de culture et qui, par conséquent, ne font pas pression pour l'obtenir. On a vu avec le mouvement MeToo à quel point les RH bénéficiaient de peu de confiance pour enquêter sur les cas de harcèlement (souvent rejetés comme inventés, bien que la recherche montre que c'est rarement le cas), soutenir les victimes et traiter le problème comme un problème systémique. Était-ce un manque de courage ? Une perception selon laquelle le statu quo était dans l'intérêt mutuel des managers et des RH ? Une autre hypothèse est que les RH en savent trop peu sur les professions de leurs pairs pour pouvoir les contester. C'est ce qui se passe lorsque l'on forme des dirigeants en silos et que l'on hyperspécialise les emplois, plutôt que de développer une organisation de néogénéralistes.
Faire évoluer les perceptions de ce qu'est réellement le leadership.
Cela ne peut se faire que par vos actions et votre engagement. Si vous vous focalisez sur les leaders en tant que leaders de position, c'est-à-dire des personnes "ayant une autorité organisationnelle sur les autres", vous perpétuez une fausse image du leadership, liée au statut et aux avantages, qui renforce les egos et les comportements compétitifs. Le leadership n'est pas un titre mais un ensemble de comportements et une capacité d'influence. A vous d’identifier et de soutenir les personnes qui en font preuve ; c’est comme cela que les perceptions générales évoluent.
Réduire les efforts consacrés à la rigidification des structures.
Je suis stupéfaite de voir la quantité d'énergie dépensée pour faire passer la discipline des RH pour une science dure, par toutes sortes de moyens : cadres, structures, classifications... Un modèle de compétences ne provoquera jamais de changement culturel. Il peut avoir d'autres usages (alignement de l'évaluation, protection en cas de litige...) mais dans la plupart des cas, c'est un artefact de communication inutile. La structuration de la production des RH est un marché énorme qui ne produit que très peu ou pas de valeur du tout pour l'entreprise.
Il y a quelques années, j'ai été invité par John Sigmond, un innovateur en matière de RH, à participer à un groupe de réflexion sur la réinvention de la discipline, composé des dirigeants RH de certaines des plus grandes et plus innovantes entreprises américaines. Quelle déception pour nous deux. Plusieurs mois de travail ont abouti à une nouvelle série de "frameworks" élitistes à destination des "hauts potentiels". Comment l'expliquer ? Est-ce une façon de lutter contre un complexe d'infériorité face à des disciplines moins désordonnées, plus prévisibles et plus mécaniques ? Dans notre monde de plus en plus complexe, les RH ne prouveront certainement pas leur valeur par une plus grande structuration. En revanche, elles peuvent jouer un rôle considérable en permettant à l'ensemble de l'organisation d'aborder l'inconnu avec une plus grande flexibilité.
Résister à l'envie de suivre les tendances.
Pourquoi, pourquoi, pourquoi tout le monde fait-il la même chose en même temps ? Ces modes managériales sont épuisantes (mais aussi, une fois de plus, un marché énorme). Lorsque j'ai rejoint le monde de la grande entreprise, tout le monde copiait Jack Welsh. Classement forcé par ici, grille d'évaluation du personnel en 9 cases par là. Il a fallu de nombreuses années pour réaliser à quel point ces pratiques étaient chargées de conséquences négatives, alors qu'un peu de jugement (et d'écoute) aurait évité des erreurs coûteuses. Puis une autre tendance a vu le jour, et on y est tous allés. Matrices RACI ? Six Sigma ? Lean ? Design Thinking ? Agile ? J'en oublie. Je vais attendre la prochaine, puis la suivante. Au lieu de moutons de Panurge qui suivent des recettes, on a besoin de penseurs originaux qui réfléchissent et agissent dans leur contexte, avec les personnes, par rapport au travail à accomplir.
Réfléchir à deux fois (au moins) avant de sévir contre les agents du changement.
Certes, ces personnes sont peut-être des cailloux dans la chaussure de leur manager. Elles peuvent être moins obéissantes que la moyenne. Et vous savez quoi ? il se pourrait qu'elles voient et sachent des choses que vous ignorez. Allez leur parler. Voyez comment vous pouvez aider, au lieu d'empêcher. Ces non-conformistes sont autant d'opportunités pour votre organisation. C’est pour les RH la possibilité de créer des alliances afin d’aider ces agents du changement à transformer leur vision et leur énergie en une contribution positive pour leurs collègues et pour vos clients.
Pour les professionnels des RH, ce sont autant de choix à faire, chaque jour.
Pour la fonction RH, être un acteur du changement organisationnel et culturel est une opportunité extraordinaire. C'est aussi sa responsabilité et elle doit être tenue d'en rendre compte.
Besoin d’un œil neuf en matière de changement collectif, de leadership, de transformation par l'engagement et le numérique ? Contactez-moi, je serai heureuse d’en discuter avec vous.
Qu'en pensez-vous ? En tant que professionnel.le des RH, ou travaillant en partenariat avec les RH, qu'avez-vous trouvé qui fonctionne ? Racontez-le moi dans la section commentaires ou sur les réseaux sociaux !
Ce post a été inspiré par l'événement Innovation RH organisé par Kongress Media GmbH.
READ THIS POST IN ENGLISH: Change Leadership : The Real HR Challenge
Vous proposez une idée, elle est acceptée, puis... on ne vous donne pas la permission, le soutien ou les moyens de la mettre en œuvre. Que faire ? Trente agents du changement du monde entier donnent leur avis.