Le côté humain du futur ?

L’engagement des personnes dans un monde de tech

Je reviens tout juste de Chine, où j'ai entrevu notre avenir technologique. Les cartes de crédit sont du passé. Si vous souhaitez donner une pièce à un vagabond, flashez son QR code. La reconnaissance faciale est la norme - y compris dans les distributeurs de papier hygiénique. Dans les fermes d'élevage, des fitbits surveillent des millions de poulets individuellement. Entrez dans une clinique d'un nouveau genre, agencée comme un appartement cosy, regardez-vous dans un miroir, et vous obtenez un bilan de santé et des conseils diététiques (le miroir est "intelligent"). Les incubateurs de start-up permettent à des entrepreneurs de développer notre alimentation de demain (?) – boulettes de viande sans viande et blanc d'œuf synthétique pour l'industrie de la boulangerie – et toutes sortes de dispositifs, dont beaucoup pourraient bousculer des industries entières.

La quantité de données mises à disposition par des capteurs de toutes sortes est infinie. Le contrôle social par la technologie semble presque souhaitable, quand la surveillance par autrui limite les comportements asociaux et contribue à la tranquillité collective. Au même moment, les manifestations qui avaient lieu à Hong Kong contrebalançaient quelque peu cette vision "idéale" d'ordre techno-social. Je me garderai de juger : mes années passées en Asie m'ont appris à me méfier des interprétations au travers du seul filtre de la culture occidentale.

Malgré tout, cette semaine passée en Chine m'a fait beaucoup réfléchir sur l'avenir, sur l'éthique, sur le monde que nous construisons.

Lecture et interrogations

En outre, je terminais alors la lecture d'Homo Deus de Y. Harari - j'avais priorisé d'autres livres depuis que celui-ci avait été publié, et il m’arriva finalement entre les mains au parfait moment. Là, à Shenzhen, où rien ne semble avoir plus de quarante ans, où le bouillonnement d'innovation technologique affecte la planète entière, je n'ai cessé de m'interroger sur le travail, le leadership et l'engagement :

>>> Si le travail est amené à devenir largement automatisé, les emplois remplacés par des machines et des algorithmes... alors l'engagement humain au travail est-il une perte de temps ? Une préoccupation sur le point de devenir obsolète ? Une activité dont se souviendra avec une vague nostalgie la "classe inutile" grandissante, avant qu'on ne l'oublie ? Est-il même éthique de travailler à accroître l'engagement des employés, contribuant ainsi à augmenter les profits investis (si non dépensés en dividendes) dans la technologie et l'automatisation, contribuant ainsi à la destruction d'emplois ?

>>> Si l'humanisme est une "religion" - une construction sociale visant à maintenir l'ordre social à large échelle - et le libre arbitre individuel une illusion ou un obstacle au progrès collectif, l'engagement est-il une simple doctrine ? Une pratique historiquement datée, liée à la culture occidentale, promue par des évangélistes comme moi ?

>>> Si l'avenir de la société n'est pas façonné par les mythes et les dynamiques sociales du passé, mais par les problèmes et les possibilités créés par les nouvelles réalités technologiques, est-il possible de rester pertinent dans le domaine du travail sans connaissances spécialisées en robotique, en algorithmes, en intelligence artificielle et en gestion automatisée des ressources humaines ? 

1, 2, 3... écueils

Retour en Chine, une minute. La raison de ma visite était un groupe de cadres supérieurs travaillant pour l'une des plus grandes entreprises au monde. J'avais été appelée à épauler leur semaine de développement du leadership et d'exploration de l'innovation dans le domaine de la santé. Par des activités et des moments de réflexion judicieusement conçus, nous avons pu nous projeter dans un futur souhaité tout en résistant aux trois principaux écueils que je vois souvent :

  • Se complaire dans une attitude d'expert ou d'élite, considérer que certains sont habilités à prendre des décisions au nom d'autres qui sont supposés savoir moins ou être de moindre valeur

  • Déconnecter le côté humain et le côté technologique des choses, considérer qu'il s'agit de deux sujets différents (voire opposés) ;

  • Aborder la technologie et l'engagement dans une pure perspective utilitariste, considérer les deux ne sont que des moyens d'atteindre certains objectifs. 

Synergies porteuses de sens entre individus et technologie

Dans l’usine virtuelle

Dans l’usine virtuelle

Notre avenir réside dans des synergies porteuses de sens entre individus et technologie. Plus précisément, quand on aborde le travail, entre l'engagement des personnes et les technologies numériques.

Pour que cela se fasse et, en même temps, éviter autant que possible les conséquences négatives involontaires (résultat le plus probable de tout changement chez les systèmes vivants), tous ceux qui sont touchés par le futur devraient avoir une chance de le co-concevoir. Cela signifie que les chefs d'entreprise et les experts en technologie ne doivent pas tout concevoir par eux-mêmes, mais créer les conditions d'une mobilisation active et d'une contribution de l'écosystème tout entier.

A quoi cela ressemble-t-il, en pratique ? Voici un exemple, venant d'un autre de mes clients (que j'adore), une compagnie aérienne de fret majeure.

  • Problème : Un nouvel algorithme permettra aux clients de réserver leur expédition en ligne. Cela changera profondément la façon dont les ventes de marchandises se font. L'adoption de cette nouvelle technologie par les 700 vendeurs dans le monde est cruciale pour l'entreprise.

  • Ce qui pourrait être fait : gestion de projet + ré-ingénierie des processus + gestion du changement + communications

  • Ce qui est fait à la place : leadership de changement pour l'ensemble de la transformation digitale des ventes, dans une démarche d'engagement humain facilitée par la technologie. Ce sont les salariés des ventes eux-mêmes, avec leur managers, qui "façonnent l'avenir numérique au lieu d'être façonnés" par lui (leurs mots). Inspirée par les principes du changement de Kotter et dotée de capacités numériques par Beck et Al., l'entreprise a maintenant réussi beaucoup plus que l'adoption d'une nouvelle technologie. Elle fait évoluer les relations, l'information et l'identité au sein du système (Myron Rogers) et a considérablement amélioré la qualité du collectif. Ceci augmente très significativement la capacité des individus et de l'organisation à naviguer avec succès dans un monde "BANI" (Jamais Cascio). Cette évolution du travail et du leadership transforme la culture d'entreprise en un puissant moteur de performance.

Principes de design

Ce sont la pratique terrain et les expériences concrètes qui ont façonné mon approche des synergies personnes-numérique dans les projets de transformation (d'abord en tant que praticienne interne, puis en tant que conseil pour des organisations internationales). J'ai déjà partagé quelques principes de design du point de vue du changement (Le Changement Humain), du leadership (Three Ways Social Media Make You a Better Leader) ou du pouvoir (Digital Leadership pour SocialNow). Je vais conclure ce billet avec les principes de design relatifs à la technologie.

Caveat : parmi les éléments qui guident mes interventions, aucun hélas n'apporte de réponse définitive aux questions soulevées au début de ce post - probablement trop vastes pour qu'on puisse y répondre une fois pour toutes. Mieux vaut continuer à y réfléchir de toute façon.

Cependant, voici quelques réflexions qui guident mes efforts de changement et d'engagement dans un monde façonné par la technologie :

  1. Comment la technologie peut-elle relier les gens au lieu de les diviser ou de les isoler ? Il est facile de croire que la technologie connecte quand en réalité elle ne le fait pas. Sous couvert d'une rhétorique bien intentionnée, la technologie ne fait parfois que repousser les gens que nous ne voulons pas voir derrière un appareil, un robot ou un clavier et un écran (clients pénibles, patients énervés, employés contrariants, quiconque pouvant entraver la productivité ou l'entre-soi confortable). Attention à la technologie en tant que barrière hygiénique entre "nous" et "eux", qui déconnecte, segmente et exclut. Parfois, la technologie n'est pas la meilleure réponse à un problème. Explorez d'autres options avant de proposer une machine. 

  2.  Comment rester au contact de nos clients en tant que personnes, et pas seulement en tant que données ? Rester proche de ses clients en tant que personnes réelles, riches d'histoires, d'expériences, d'émotions et d'attentes concrètes, c'est, je crois, la clé de l'engagement et de la performance. C'est la véritable orientation client, celle qui a un impact positif sur la culture et les comportements au travail. Ne laissez donc pas la technologie remplacer le contact direct, personnel et en face-à-face (à la Levinas) avec les clients. Et assurez-vous que les dirigeants - et pas seulement le personnel de proximité - aient de véritables occasions de contact. Le rituel du "client sur scène lors de notre réunion annuelle" est OK mais loin d'être suffisant. Que faites-vous alors pour permettre des contacts riches à l'échelle de toute votre organisation ?

  3. Comment cultiver les compétences humaines nécessaires dans un monde façonné par la technologie ? Qu'il y ait de la tech partout ne signifie pas que nous puissions nous fier uniquement à la logique pour prendre des décisions. Je dirais même que, plus il y a de technologie, plus nous avons besoin de valeurs et de compétences humaines. Comme quoi, par exemple ? La compassion et l'empathie - pour faire du bon travail qui réponde bien aux besoins, surtout lorsque la tech affecte l'expérience humaine (santé, commerce de détail, finance...). Le courage de s'exprimer et d'agir en faveur des valeurs humaines - d'affronter la pensée de groupe corporate, de résister aux leaders cyniques et dominateurs, de créer des opportunités pour que tous puissent façonner l'avenir. Aussi, le courage de changer ses habitudes et de s'ouvrir à de nouvelles façons de travailler (sociales, numériques...). La collaboration - que cessent les attitudes territoriales et les jeux à somme nulle. Le nouveau monde rendu possible par la technologie mérite et exige des esprits et des cœurs qui bâtissent des ponts pour réussir ensemble.

Qu’en pensez-vous ? Parlons-nous !

Pour lire ce billet en anglais : The Human Side of the Future? People Engagement in a Tech-Driven World