Activisme d’entreprise & transformation du leadership
Faire de la passion un moteur de performance, pour créer valeur et impact
Cet article s’adresse en premier lieu à tous les esprits rationnels qui me demandent, depuis que je pratique et parle d’« activisme d'entreprise », ce que je veux dire par là.
C’est à mon avis un concept bien plus large que la mobilisation d’entreprise « autour de problématiques sociales », qui peut propulser les organisations, les individus et la société en général vers un avenir plus positif. Il est donc important de bien le comprendre.
Cet article s’adresse également à tous ceux dans le monde de l'entreprise que le mot « activisme » rebute. C'est un phénomène beaucoup plus positif et important que vous ne l'imaginez. Mais ce que produit l’activisme ne profitera qu’à des leaders capables de faire évoluer de manière substantielle leurs pratiques de leadership et leurs comportements.
Voici pourquoi.
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Croyez-vous en quelque chose de plus grand que vous, que votre vie familiale, votre agrément social, vos plans de carrière ? Est-ce une conviction partagée par d'autres personnes ? Faites-vous quelque chose à ce sujet – des choses concrètes ? Y consacrez-vous du temps ? Alors, vous êtes un-e activiste. Votre action n’est pas nécessairement majeure, visible ou reconnue. Les militants ne sont pas tous des héros acclamés. Mais tout le monde peut agir, même de façon limitée, pour une « cause » – quelque chose en quoi on croit –, se sentir utile ce faisant et, par là, infléchir un peu le cours de l'histoire.
Activisme d’entreprise = utilisation des techniques et outils des mouvements sociaux, au service de la performance de l’entreprise
L'activisme fait souvent penser aux mouvements pour la justice sociale ; la paix, la démocratie ou d'autres questions publiques. Très rarement est-il considéré dans le milieu professionnel – en tout cas en tant que force positive ou comme source de valeur commerciale. Pourtant, l'activisme d'entreprise peut être parmi les leviers les plus puissants de l'excellence et de l'innovation aujourd'hui. En modifiant les interactions, il permet aux organisations de réaliser au maximum les opportunités offertes par leur personnel ou leur écosystème externe, et de produire une solide performance business. C'est une nouvelle stratégie de leadership que nous avons expérimentée à plusieurs reprises, avec d’excellents résultats, au sein d’une vaste organisation globale. Pourquoi cela fonctionne-t-il ?
Parce que l'activisme:
Connecte, tout en préservant les avantages de la diversité
Propulse, en tant que l'une des rares techniques efficaces contre la suroccupation
Ebranle, en vertu des émotions attachées à une cause co-créée
Se propage, sans besoin d'une lourde infrastructure de communication
Engage, de manière profonde et durable
Chacun de ces points mérite une explication approfondie.
1- L'activisme connecte
Contribuer à une cause partagée par d'autres est évidemment un excellent moyen d’établir des connexions. Puisque cette cause rassemble les individus, elle est centrale car elle les aide à surmonter, au moins un peu, leurs différences. Pour autant, ils ne sont pas obligés de renoncer à leur diversité ; l'activisme est une activité volontaire – et un état d'esprit – et personne n'a le pouvoir d'exiger que les bénévoles mettent de côté ce qui fait d'eux ce qu’ils sont.
Il y a dans la collaboration un dilemme fondamental : comment tirer parti de ce qui différencie les gens - qui par leurs différences respectives rendent le travail collectif plus riche et pertinent - sans que ces différences entravent la prise de décision ou la cohésion du groupe ? L'élimination de toutes ces frictions peut se faire par la pensée unique et la culture du consensus, mais ce n'est évidemment pas le plus judicieux.
En quête d'« alignement »
« Aligner » les esprits, pour rendre l’action cohérente, est d'autant plus difficile dans les grandes structures que les perspectives sont façonnées par les silos fonctionnels, la hiérarchie, et une concurrence interne exacerbée par les systèmes de « gestion de la performance ». Les organisations s’efforcent traditionnellement d’assurer la cohérence par :
l’alignement organisationnel (redessiner les frontières intérieures - activité de prédilection pour les leaders nouvellement nommés)
l’alignement de la communication (exhortations, slogans d'entreprise, information en cascade du haut vers le bas)
l’alignement des mentalités (recrutement en fonction de l’« adéquation à la culture d’entreprise », promotion des personnes « avec le bon état d'esprit »)
Une autre façon de surmonter les barrières internes et d'intégrer une certaine diversité d’opinion dans les projets consiste à confier une partie de la stratégie, ou des projets phares, à divers employés (souvent parés du label « agents de changement ») choisis parmi différentes fonctions, origines géographiques, générations... beaucoup plus rarement parmi différents niveaux hiérarchiques.
Toutefois comme le montre l’insatisfaction permanente envers le fonctionnement en silos, tout cela échoue à créer l'esprit de collaboration inter-silo dont rêvent les chefs d'entreprise pour leurs équipes. Ceux-ci voudraient que les gens du marketing travaillent mieux avec les équipes commerciales, que la R&D s’interface mieux avec la production et vice-versa, mais cet idéal ne semble pas vouloir devenir réalité. La collaboration interhiérarchique est rare, car les organisations ne savent traiter les problèmes que par couche hiérarchique successive. Elles peuvent tenter de réduire le nombre de couches (toujours cette idée de redessiner des frontières internes), mais les organisations restent aveugles aux effets négatifs induits par la distance hiérarchique, par les relations de domination et par les biais de perception liés aux positions respectives dans la pyramide organisationnelle.
De façon paradoxale, ce sont souvent des initiatives non-professionnelles, parfois locales (réseaux de femmes, programmes d'auto-partage, communautés de pratique...) ou des groupes-ressources d'employés qui permettent de dépasser ces cloisonnements. Ma première expérience de véritable travail interfonctionnel et interhiérarchique, je l’ai vécue dix ans après être entrée dans une grande entreprise, lors d’une mobilisation positive d’employé-e-s en faveur de la diversité en milieu professionnel. L'intelligence collective à l’oeuvre y était phénoménale. Toutefois, la diversité est encore souvent perçue comme une question « sociétale » plutôt que comme un enjeu de performance d'entreprise – malgré toutes les études démontrant son impact économique – et les réussites de ce mouvement collaboratif n'ont guère été sur le moment considérées comme dignes d'intérêt par l'organisation.
Cependant, nous avons pu par la suite appliquer exactement la même dynamique à deux problématiques critiques de l'entreprise, d'abord en tirant parti de l'activisme pour soutenir le lancement d'un nouveau produit (voir le cas ici) puis pour améliorer la qualité de la production industrielle (lire le cas ici et dans le livre co-écrit avec Isabel de Clerq et al. Social Technologies in Business). Le succès de ces deux cas de figure montre la puissance de l'activisme pour connecter les personnes et réduire les distances hiérarchiques tout en prenant appui sur la diversité des visions du monde.
Ce mode d’action est particulièrement efficace lorsque l’on tire parti des médias sociaux pour établir des connexions à grande échelle. Les médias sociaux (dans notre expérience, Facebook et Twitter avec l'écosystème externe ; Yammer en interne) sont des outils indispensables à une action collective intelligente. Plus l'accès est facile, libre et non filtré, plus il permet l'expansion virale. J'ai le plus grand respect pour les activistes du passé, qui ont réussi à mobiliser le collectif sans les outils dont nous disposons aujourd'hui. Aujourd'hui, pas de médias sociaux : pas d'activisme.
2- L'activisme propulse
"Propulsion" indique qu’il est ici question d’action. Le but ultime des activistes n’est pas de débattre indéfiniment, de collecter et d'analyser sans fin des informations, d’élaborer des théories et des présentations… La « paralysie par l’analyse » – une maladie qui touche nombre d’entreprises – ne risque pas de les affecter.
Les activistes ne sont pas indifférents, défaitistes, en colère ou encore en attente de solutions qui tomberaient du ciel. Ils pensent pouvoir agir sur leur environnement (ils se perçoivent comme autonomes et capables d’avoir un impact) et agissent en conséquence. Ils peuvent parfois se montrer trop optimistes quant au résultat de leurs actions – c’est mon cas ! – mais cette confiance en soi est précisément ce qui les aide à passer à l’acte. Attention, ce sentiment n'est pas synonyme de naïveté : les activistes ne vivent pas dans le monde des Bisounours. Ils voient d’un oeil critique la situation qu’ils essaient d’influencer, alors que beaucoup ne font que s’en accommoder, ignorant ou niant les problèmes.
« Je suis trop occupé-e ! »
La suractivité, ou l’excès permanent de labeur, est l’ennemi numéro un de l’activisme. C’est aussi une pathologie grave qui affecte le moral des individus et les performances de l’entreprise. Je connais personnellement bien trop de cas de burn-out. La suractivité est souvent causée par le fonctionnement même des organisations : dans un environnement où la confiance n’est pas de mise, on en demande trop à trop peu de personnes. Les managers sont submergés par les tâches de contrôle et d’encadrement ; dans les milieux professionnels conservateurs, où les outils sociaux n’ont pas encore percé, les e-mails exercent encore à plein leur tyrannie sur le temps disponible et l’organisation du travail de chacun.
Accros aux « projets » et aux « initiatives stratégiques », les entreprises en rajoutent toujours davantage à leurs employés. Votre travail était sensé vous occuper à 100% de votre temps, vous êtes désormais prié-e de le réaliser en temps masqué tout en contribuant aux projets « Accélération X », « Transformation Y » ou « Ambition Z ».
Hélas cette surcharge peut également être auto-infligée, provenir de l’incapacité à se concentrer sur ce qui compte vraiment, d’une difficulté à faire des choix, ou de l’envie de plaire à tout le monde dans une structure matricielle.
Mais, parce qu'ils veulent faire une différence et s’en croient capables, les activistes s'efforcent d'avoir un impact. C'est ce sur quoi ils focalisent leur énergie. Voilà ce qui les libère du cycle infernal de la suractivité. Ils trouvent des moyens d'optimiser et d'accélérer leur travail ; ils font des choix ; ils gagnent ainsi du temps pour leur cause.
Les managers craignent que l’activisme n’agisse comme une distraction, alors qu'il rend au contraire plus efficace. Il permet d'accroître, à tous les niveaux de l'organisation, les compétences de leadership – besoin criant des entreprises aujourd’hui. Négliger cette ressource disponible serait plus que dommage, un vrai gaspillage. La pensée rationnelle, dans l'intérêt économique de l'organisation, exige au contraire de saisir cette opportunité, d'exploiter cette énergie et de la mettre au service d'un objectif de performance collective. Cela requiert une transformation en profondeur des comportements de leadership, ce qui n’est pas chose facile dans les entreprises de grande taille, anciennes, ou opérant en secteur très réglementé. C’est à cela que j’aide les organisations.
3- L'activisme ébranle
L'activisme « remue », parce la cause mobilisatrice contient toujours une composante émotionnelle. On ne se bat pas pour un indicateur de performance ; on ne mobilise pas ses collègues et ses pairs pour la simple amélioration d’un système ou pour une nouvelle initiative corporate. Alors, que manque-t-il ? Un grand dessein ?
Quiconque n’a pas vécu retiré du monde ces vingt dernières années sait à quel point il importe d’identifier une « grande cause commune ». En 1988, John Kotter popularisait le concept de Grande Opportunité. En 2008, Simon Sinek conseillait de « Commencer par le pourquoi ». En 2004, Salim Ismail, Mike Malone et Yuri van Geest identifiaient chez toutes les Entreprises Exponentielles un MTP (Massive Transformation Purpose, un objectif de transformation massive). En 2016, Dan Pontefract décrivait les implications de ce qu’il appelle le « Purpose Effect » – l’Effet Cause. La quête de sens au travail serait plus importante pour les jeunes générations qu'un salaire élevé. [NdA : pour contrebalancer cette suite d'auteurs masculins, jetez un oeil à cette remarquable liste de 60 livres de management tous écrits par des autrices et compilée par Rachel Happe.]
Ce besoin de cause commune a probablement servi les intérêts des consultants en communication. Cependant, un objectif, même irrésistible, ne pourra pas à lui seul à attirer des activistes. Quelle pièce du puzzle nous manque-t-il alors ? Le phénomène d'appropriation collective.
Afin qu'un objectif soit identifié véritablement comme une cause, pour qu’il génère une action et un engagement durable et exponentiel, il doit être vu comme « nôtre » et au moins en partie, venir de nous. Il est impossible d’imposer une cause à quelqu’un – même si elle est noble, même avec des efforts de communication importants. Un objectif, s’il est façonné par un petit nombre de personnes choisies par les dirigeants, pourra tout au plus susciter l’intérêt d’un ensemble plus vaste ; mais pas déclencher un véritable engouement militant. Dans le cas où les comportements encouragés au sein de l'entreprise diffèrent de l'objectif (ou de la « mission », des « principes »... voir à ce sujet l'affaire Wells Fargo et d’autres) cela peut même se retourner contre l'entreprise – et amener des activistes aux idées contraires à répliquer.
Les organisations qui comprennent la valeur de l’activisme prennent le temps qu’il faut et créent des opportunités permettant de réfléchir ensemble, de dialoguer, de co-créer sur la base d’un objectif commun. Une question fondamentale à poser, que j’ai déjà mentionné plusieurs fois car elle est pour moi l’étincelle qui enflamme chaque mouvement d’activisme d’entreprise, est : « Pour quoi avons-nous envie de nous battre, ensemble ? »
Partant de là, les éléments suivants contribuent à la réussite d'une démarche activiste en entreprise :
Emergeant de cette conversation originelle, une cause commune prend vie grâce à des actions tangibles ; l’entreprise et son équipe de leadership dédient du temps et des ressources pour mettre en oeuvre les activités associées
Les activités qui soutiennent cette cause mais ne nécessitent pas de ressources ne dépendent d’aucune autorisation préalable
Une conversation ouverte et continue autour de la cause et de ses manifestations concrètes est encouragée, avec la participation active des leaders, qui n'hésitent pas à exprimer leurs émotions (sur le réseau social interne de l’entreprise, lors d’événements internes...)
La cause commune est re-discutée régulièrement, afin qu’elle reste adéquate et que les nouveaux venus se l’approprient autant que les employés de longue date.
4- L'activisme se propage
L'activisme est contagieux. C'est cet effet viral qui le rend mystérieux ou effrayant - parce que personne n'en contrôle la diffusion.
D'un simple « non » – non, je ne céderai pas ma place dans le bus à une personne blanche – à la fin de la discrimination raciale légale envers des millions de personnes... D'une gifle envers un marchand de fruits à une vague de révolutions qui secouent le monde entier... Hors de la politique, tout une variété de sujets peuvent devenir viraux: un clip vidéo, un défi caritatif, une publicité : ce qui devient viral est assez imprévisible. Mais la propagation n'est pas garantie non plus: s'il y avait une recette pour une campagne virale, ça se saurait. Ce n'est qu'après le succès qu’il est possible d’identifier les éléments ayant favorisé une propagation virale. La réutilisation des mêmes éléments, dans la même séquence, produit d'ailleurs rarement les mêmes résultats.
Pour illustrer ce point, voici un exemple d'échec personnel. À un moment donné, j'étais agacée par les conséquences d'une politique d'entreprise rigide concernant les transports en taxi (réservation obligatoire des transports auprès d'une compagnie de taxi coûteuse, par le biais d'un processus assez lourd ; des solutions plus simples et moins chères comme Lyft ou Uber étaient interdites). Inspirée par ce qui s'était passé chez IBM – un post sur le réseau social interne était devenu viral et avait déclenché un changement de politique – j'ai fait la même chose: publication d’un appel au changement, sur notre réseau social interne. Absolument rien ne s'est passé. Je ne suis même pas sûre que ce post ait reçu le moindre like. La politique a fini par changer environ un an après, mais je n'y ai été pour rien !
En revanche, quand l'effet viral fonctionne, il est phénoménal. Né d’un simple courriel adressé à trois collègues, un mouvement interne pour la diversité a fini par rassembler 2 500 collaborateurs de l'entreprise à travers 50 pays, mobilisant une foule de collègues et moi-même, déclenchant une réaction en chaîne sans précédent. Break Dengue, un mouvement visant à mettre en relation les militants contre la dengue, a attiré 250 000 followers sur Facebook en moins d'un an, en 2013, devenant ainsi la première "part de voix" au sujet de la dengue sur les réseaux sociaux. En seulement 6 mois en 2015, le mouvement social interne pour la qualité que je soutiens actuellement, a mobilisé activement plus de 5 000 personnes dans nos usines de fabrication à travers le monde - sans support de communication. Chacun de ces mouvements a produit des résultats tangibles qui n'auraient pas existé sans les activistes.
Le pouvoir du bouche-à-oreille, et du peer-to-peer
Un mouvement peut se propager sans infrastructure de communication lourde et coûteuse grâce à la passion que les militants peuvent exprimer dans leurs conversations avec d'autres personnes. Parce qu'ils permettent la rapidité et une masse critique aux conversationes, les médias sociaux sont importants ; ils rendent également possibles des connexions plus aléatoires que ne le font les rencontres classiques, ce qui alimente le mouvement en diversité. Cependant, les interactions en personne (« loin des claviers ») sont irremplaçables pour assurer la propagation. En effet c'est le contact direct entre individus qui porte le mieux :
La passion (et non le raisonnement) qui démultiplie l'engagement
La liberté (et non l’injonction) qui favorise l'autonomie et la créativité
Les conversations (et non la communication unidirectionnelle) qui permettent de construire un sentiment de propriété partagé
La connexion de personne à personne (et non celle définie par les rôles professionnels) qui dépasse les barrières de statut
L’interaction entre pairs (et non la relation à l'autorité) perçus comme dignes de confiance quand les chefs ou les experts ne le sont pas.
Dans le cas de l'activisme pour la qualité, afin de déclencher une énergie massive autour de notre Grande Opportunité (notre grand dessein commun), aucune communication officielle et descendante n’a été requise. Cela a même été délibérément écarté de la stratégie. Une campagne de communication aurait en fait sapé l'authenticité et la crédibilité du mouvement ativiste, limitant ainsi son expansion virale. Lorsque les contributeurs ont réalisé le besoin de soutien en matière de communication, ils se sont adressés à leurs collègues experts localement. Ensemble, ils ont construit ce dont ils avaient besoin. De cette façon, ils ont réalisé quelque chose qui leur « appartient », dont ils sont conjointement fiers, tout en établissant grâce à ce partenariat des relations de confiance avec la Communication. Un résultat totalement différent de celui d'une campagne de communication émise en « cascade » depuis un niveau supérieur.
5- L'activisme engage
L'activisme attire l'attention sur un sujet et engage les gens dans l’action. C'est par essence un schéma d’encouragement par l’exemple. Quand certains ne font que penser (ou pire, parler), les activistes agissent. Il n'y a pas de façon plus claire de démontrer que 1) l'engagement est réel et que 2) il est possible de faire quelque chose. Cette exemplarité est attirante, et plus constructive pour le collectif que n'importe quelle exhortation d’entreprise.
En outre, il rend l'engagement plus durable que ne le fait une initiative corporate classique. Se voir confier un nouveau projet ou évoluer vers un nouvel emploi ne détournent pas d’une cause à laquelle on tient. Ce sont l’impact et le souci du résultat qui comptent, pas les aléas de l’affiliation professionnelle. Plus pérenne, plus profonde que quelconque contribution à une initiative d’entreprise : la passion pour une cause.
Engager, mais pour quoi faire ? Une objection entendue à plusieurs reprises est la suivante : « l'industrie dans laquelle vous travaillez sert une noble cause » [ma société fabrique des vaccins] « ... nous n’avons pas cette chance – les produits ou services sont techniques, business-to-business, anecdotiques, ne sauvent pas des vies » (...ou autre argument de ce type).
J'estime que ce n'est pas un obstacle insurmontable. Toute organisation a des clients ou des personnes à servir, et compte sur des gens pour le faire. N'importe quelle entreprise peut décider de placer la dimension humaine au centre de ce qu'elle fait ; de contribuer à quelque chose de plus grand qu'elle-même. La difficulté de trouver une « grande cause mobilisatrice » peut même être une opportunité ; dans ce cas, il est réellement besoin d'une conversation authentique et profonde entre collègues. Peut-être plusieurs conversations - ce qui est idéal pour créer un sentiment de « propriété partagée ». Les entreprises ayant une cause « évidente » se permettent souvent, à tort, de sauter cette étape.
Cette nouvelle approche génère des résultats parfaitement tangibles, qui vont bien au-delà du simple effet d’engagement. Des activistes engagés en nombre ont un impact bien réel sur leur environnement. Pour n'en nommer que quelques-uns, en rapport aux expériences personnelles mentionnées plus haut :
En interne, la communauté activiste pour la diversité a mis en relation des femmes et des hommes au sein de l'entreprise, et leur a donné un sentiment d’autonomie (personnellement, je n'écrirais pas aujourd'hui si ce mouvement n'avait pas existé) ; a rendu visible le thème de la diversité ; a déclenché des progrès (même encore insuffisants) dans le rapport femmes/hommes au sein des organes décisionnels de l'entreprise ; a suscité la création d'un méta-réseau pour l’échange de bonnes pratiques entre 17 grandes entreprises, qui réunit plusieurs centaines de personnes lors d’un événement annuel autour de la diversité.
En externe, une communauté activiste pour la santé publique a établi des partenariats visant un impact collectif contre la dengue ; a été identifiée comme un modèle en matière de cybersanté par l'Organisation Mondiale de la Santé, permettant d'inspirer d'autres initiatives ; a mobilisé la communauté pour la sensibilisation et l'éducation à la maladie ; a mis en contact des praticiens et des experts scientifiques travaillant sur la maladie; a financé de nouvelles initiatives contre la maladie et a lancé un système de surveillance de la dengue qui en améliore la détection.
En interne, la communauté activiste pour l'amélioration de la qualité a redressé de façon spectaculaire, et en moins de deux ans, la performance d'une multinationale en matière de qualité industrielle, permettant de mieux servir les besoins en vaccin à travers le monde ; a fait chuter le nombre d’erreurs humaines et d'accidents du travail ; a réduit considérablement le taux de radiation de stocks, contribuant à réduire la pénurie de vaccins ; a rendu des milliers de personnes fières de leur travail et a accumulé éloges et récompenses.
Le tableau ci-dessous résume comment fonctionne l’activisme d’entreprise, et en quoi il est supérieur aux modes classiques d’engagement.
Conclusion: une transformation du Leadership
L’étendue des sujets abordés et l'ampleur des résultats le démontrent clairement : quel que soit le domaine d'action, l'activisme est un excellent moyen de stimuler l'engagement des employés et des clients, tout comme il l'est pour accroître la performance de l'entreprise. L'activisme d’entreprise crée les conditions d'un effort collectif riche et durable, basé sur la passion et la diversité des apports. Il est temps que les organisations encouragent le militantisme et deviennent elles-mêmes des activistes.
Par où commencer ? Par le top management. Faire évoluer une organisation vers un fonctionnement de type activiste ne peut être délégué à des niveaux subalternes, à une équipe de projet ou à un consultant. Les dirigeants doivent d’abord adopter cet état d'esprit et modifier leurs comportements en conséquence.
Comment faire ? Faites comprendre aux autres ce pour quoi vous vous battez. Réduisez le poids du contrôle. Créez un espace de dialogue sans idée préconçue sur ce qui en sortira. Pour obtenir le meilleur des personnes, recherchez leur libre arbitre plutôt que leur soumission. Utilisez le réseau social d’entreprise. Parlez de ce qui vous rend humain-e. Prenez du recul par rapport à votre statut et vos privilèges, réduisez la distance de pouvoir qui vous éloigne des autres. Faites évoluer par votre influence les leaders hiérarchiques et les fonctions qui traditionnellement contrôlent l’information ou en réduisent la circulation. Rassemblez les gens autour d'un but co-créé. Engagez votre personne tout entière, pas seulement votre rôle professionnel. Devenez un-e leader activiste.
C'est un pas dans la bonne direction pour la performance collective, la santé des organisations et celle de la société tout entière.